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« Traité
européen : "les outils sont exactement les mêmes, seul
l'ordre a été changé dans la boîte à outils" » L’incroyable
aveu de Valéry
Giscard d'Estaing,
ancien président de la Convention européenne et candidat
probable à la future présidence de l'Union Européenne, publié dans
Le Monde du 26 octobre 2007
: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-971315@51-958156,0.html
« Les
événements médiatiques du 18 octobre ont captivé l'attention du public,
qui a semblé porter peu d'intérêt à l'accord intervenu à Lisbonne, au
sein du Conseil européen, en vue de l'adoption d'un nouveau traité
institutionnel. Pourtant beaucoup de Français, perturbés par le rejet
du malheureux référendum de 2005, aimeraient comprendre en quoi le
traité de Lisbonne diffère du projet de traité
constitutionnel.
La
différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu. Le traité
constitutionnel résultait d'une volonté politique exprimée dans la
déclaration de Laeken approuvée à l'unanimité par les membres du
Conseil européen : il s'agissait de simplifier les institutions
européennes rendues inefficaces par les derniers élargissements, de
mettre davantage de démocratie et de transparence dans l'Union
européenne, et d'ouvrir "la voie vers une Constitution pour
les citoyens européens".
Cet
objectif se reflétait dans la composition de la Convention, qui
regroupait des représentants du Parlement européen et des Parlements
nationaux, des gouvernements des États membres et de la Commission
européenne. Et surtout ses débats étaient publics. Chacun
pouvait peser le pour et le contre. Le projet de traité
constitutionnel était un texte nouveau, inspiré par une volonté
politique, et se substituant à tous les traités
antérieurs. Pour
le traité de Lisbonne, ce sont les juristes du Conseil qui ont été
chargés de rédiger le texte. Ils l'ont fait avec compétence et
précision, en respectant le mandat qui leur avait été donné par le
Conseil européen du 22 juin. Ils ont repris la voie classique suivie
par les institutions bruxelloises, qui consiste à modifier les traités
antérieurs par voie d'amendements : le traité de Lisbonne se
situe exactement dans la ligne des traités d'Amsterdam et de Nice,
ignorés du grand public.
Les
juristes n'ont pas proposé d'innovations. Ils sont partis du texte du
traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par
un, en les renvoyant, par voie d'amendements aux deux traités existants
de Rome (1957) et de Maastricht (1992).
ILLISIBLE POUR LES CITOYENS Le
traité de Lisbonne se présente ainsi comme un catalogue d'amendements
aux traités antérieurs. Il est illisible pour les citoyens, qui doivent
constamment se reporter aux textes des traités de Rome et de
Maastricht, auxquels s'appliquent ces amendements. Voilà pour la forme.
Si
l'on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les
propositions institutionnelles du traité constitutionnel — les seules
qui comptaient pour les conventionnels — se retrouvent intégralement
dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérées
dans les traités antérieurs.
Je
me contenterai de deux
exemples : celui de la désignation d'un
président stable de l'Union européenne, qui représente
l'avancée la
plus prometteuse du projet. Elle figurait dans le traité
constitutionnel au titre des institutions et organes de l'Union.
L'article 22 indiquait : "Le Conseil européen élit son
président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi,
renouvelable une fois", et l'article se poursuivait par 11
lignes décrivant le rôle de ce président.
Si
l'on recherche cette disposition dans le traité de Lisbonne, on la
retrouve dans l'amendement 16 au titre III du traité de Maastricht qui
indique : "… un article 9B est inséré : le Conseil européen
et son président"; paragraphe 5 : "Le Conseil
européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de
deux ans et demi, renouvelable une fois…", et le paragraphe
se prolonge par 11 lignes décrivant à l'identique le rôle du
président.
Le
même exemple pourrait être cité concernant le rôle et l'élection du
Parlement européen. L'article 9A du traité de Lisbonne
reproduit au mot
à mot l'article 20 du projet de traité constitutionnel.
La
conclusion vient d'elle-même à l'esprit. Dans le traité de Lisbonne,
rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les
outils sont exactement les mêmes. Seul l'ordre a été changé dans la
boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un
modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut
fouiller pour trouver ce que l'on cherche.
Il
y a cependant quelques différences. Trois d'entre elles méritent d'être
notées. D'abord le
mot "Constitution" et l'adjectif "constitutionnel"
sont
bannis du texte, comme s'ils décrivaient des maladies honteuses.
Le concept avait pourtant été introduit par les gouvernements eux-mêmes
dans la déclaration de Laeken (approuvée à l'époque par Tony Blair et
Jacques Chirac).
Il
est vrai que l'inscription dans le traité constitutionnel de la partie
III, décrivant les politiques de l'Union, constituait sans doute une
maladresse. L'apparence pouvait faire croire qu'il s'agissait de leur
donner une valeur "constitutionnelle", alors que l'objectif était
seulement de réunir tous les traités en un
seul.
Et
l'on supprime du même coup la mention des symboles de l'Union
: le drapeau européen, qui flotte partout, et l'hymne européen,
emprunté à Beethoven.
Quoique
ridicules, et destinées heureusement à rester inappliquées,
ces décisions sont moins insignifiantes qu'elles n'y paraissent.
Elles visent à écarter toute indication tendant à évoquer la
possibilité pour l'Europe de se doter un jour d'une structure
politique. C'est un signal fort de recul de l'ambition
politique européenne.
Concernant,
ensuite, les réponses apportées aux demandes formulées notamment en
France par certains adversaires du traité constitutionnel, il faut
constater qu'elles représentent davantage des satisfactions de
politesse que des modifications substantielles.
Ainsi
l'expression "concurrence libre et non faussée",
qui figurait à l'article 2 du projet, est retirée à la demande du
président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des
Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que "le
marché intérieur, tel qu'il est défini à l'article 3 du traité,
comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée".
Il
en va de même pour ce qui concerne le principe de la supériorité
du droit communautaire sur le droit national, dont le texte
de référence reste inchangé dans le traité. En revanche, la France va
pouvoir accroître de plus d'un tiers ses droits de vote au Conseil,
grâce à la double majorité introduite par le projet de traité
constitutionnel. CONCESSIONS
AUX BRITANNIQUES
Beaucoup
plus importantes, enfin, sont les concessions faites aux Britanniques.
La charte des droits fondamentaux — sorte de version améliorée et
actualisée de la charte des droits de l'homme — est retirée du projet,
et fera l'objet d'un texte séparé, ce qui permettra à la
Grande-Bretagne de ne pas être liée par
elle.
Dans le domaine
de l'harmonisation et de la coopération judiciaires, la Grande-Bretagne
se voit reconnaître des droits multiples de sortie et de retour dans le
système. Bref, après avoir réussi à affaiblir les propositions visant à
renforcer l'intégration européenne, comme le refus du titre de ministre
des affaires étrangères de l'Union européenne, elle se place en
situation d'exception par rapport aux dispositions qui lui déplaisent.
Le
texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près
inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités
antérieurs, eux-mêmes réaménagés. On est évidemment loin de
la simplification. Il suffit de consulter les tables des
matières des trois traités pour le mesurer !
Quel
est l'intérêt de cette subtile manœuvre ? D'abord et avant tout
d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la
dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire
constitutionnel.
Mais
c'est aussi, pour les institutions bruxelloises, une manière habile de
reprendre la main, après l'ingérence des parlementaires et des hommes
politiques, que représentaient à leurs yeux les travaux de la
Convention européenne. Elles imposent ainsi le retour au langage
qu'elles maîtrisent et aux procédures qu'elles privilégient, et font un
pas de plus qui les éloigne des citoyens.
La
phase suivante sera celle des ratifications. Elle
ne devrait pas rencontrer de grandes difficultés — en dehors de la
Grande-Bretagne où un référendum aboutirait manifestement à un rejet —,
car la complication du texte et son abandon des grandes
ambitions suffisent pour en gommer les aspérités.
Mais
soulevons le couvercle, et regardons dans la boîte : les outils sont
bien là, tels que les avait soigneusement élaborés la Convention
européenne, des outils innovants et performants : la présidence stable,
la Commission réduite et recentrée, le Parlement législateur de plein
droit, le ministre des affaires étrangères en dépit de sa casquette
trop étroite, la prise de décisions à la double majorité, celle des
Etats et celle des citoyens, et la Charte des droits fondamentaux la
plus avancée de notre planète.
Le
jour où des femmes et des hommes, animés de grandes ambitions pour
l'Europe, décideront de s'en servir, ils pourront réveiller, sous la
cendre qui le recouvre aujourd'hui, le rêve ardent de l'Europe unie.
»
Valéry
Giscard d'Estaing,
ancien président de la Convention
européenne
Mon commentaire:
futur candidat à la Présidence de
l'Union européenne (candidature qui ferait de lui
un acteur constituant non
désintéressé, à la fois juge et partie), VGE "oublie"
de signaler quelques menus détails que les
exécutifs ont bizarrement conservés en passant du TCE suggéré
au TME imposé :
- La confusion
des pouvoirs dans les
mains des ministres sur des sujets aussi importants que dissimulés
(nous n’avons toujours aucune liste des domaines d’application des
« lois sans parlement » que sont les
« procédures législatives spéciales » et les
« actes non legislatifs »). Quand il parle de « Parlement
législateur de plein droit », VGE "oublie" de
signaler ces domaines cachés où le Parlement est interdit (concurrence,
marché intérieur, etc.) ;
- La dépendance
des juges, pour leur
carrière, envers les exécutifs qui les nomment (aucune démocratie digne
de ce nom ne bafoue ainsi l’indépendance de la
magistrature) ;
- Le sabordage
monétaire (art. 104 de
Maastricht) qui consiste à interdire à l’UE et aux États membres de
créer ex-nihilo la monnaie dont les peuples ont
besoin et à les obliger à emprunter cette monnaie auprès d’acteurs
privés au prix d’un intérêt ruineux qui crée une dette publique
littéralement asphyxiante pour les États membres ; L’UE
reste une bénédiction pour les banques et les rentiers (prêteurs) et
une malédiction pour les entreprises et les salariés (emprunteurs).
- Les procédures
de révision constitutionnelle « chèques en blanc » qui sont, au
choix, soit totalement verrouillées quand les peuples sont consultés
(verrou = triple unanimité requise à 27 pays pour la révision
« ordinaire »), soit totalement excluantes en tenant
les peuples à l’écart quand elles prévoient un peu de souplesse
(révision « simplifiée ») ;
- La totale
impuissance politique des citoyens entre deux élections (droit
de pétition sans aucune force contraignante), aggravée par l’opacité
des
décisions européennes qui rend théorique tout contrôle citoyen…
- La protection
extravagante des fonctionnaires européens (immunité judiciaire à vie) perdure, sans
débat ;
- Aucun organe
n’est réellement politiquement responsable de ses décisions : ni le
Parlement, ni le Conseil des Ministres, ni le Conseil Européen, ni la
Banque Centrale Européenne, ni même la Commission (puisque la censure
est aux 2/3
et sur sa seule gestion)…
Qui
donc est responsable de ses actes, au
quotidien, dans cette Union européenne soi-disant
« championne de la démocratie » ?
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